Femme, santé et technologie : le trio gagnant de la femtech

Femme consultant son téléphone mobile

De nos jours, on ne compte plus le nombre de néologismes qui peuplent le monde des affaires, notamment ceux construits avec le suffixe -tech car relatifs aux nouvelles technologies : medtech, greentech, legaltech, foodtech, etc. Ces acronymes naissent à chaque fois de la volonté de décrire des pans inédits de l’économie, qui utilisent les dernières avancées scientifiques et techniques pour révolutionner les grands secteurs traditionnels : le médical, l’écologie, le juridique, l’alimentation. Mais connaissez-vous l’un des petits derniers : la femtech ? Abréviation de l’expression « female technologies », la femtech est un domaine d’activité récent mais prometteur qui réunit en son sein toutes les innovations technologiques dédiées à la santé des femmes et au bien-être féminin. Perdième vous en dit plus sur ce marché en pleine croissance. 

Qu'entend-on par femtech ?

Le terme femtech désigne l’ensemble des produits et services répondant à des besoins de santé et de bien-être spécifiquement féminins, conçus et développés grâce à la mobilisation des savoir-faire et technologies de pointe, et du numérique.

LA femtech, c’est au sens large le secteur d’activité. LES femtech, ce sont au sens plus étroit les entreprises et les solutions innovantes commercialisées par ces sociétés, qui composent et caractérisent ledit secteur.

Ces innovations peuvent se regrouper selon plusieurs segments, liés aux différentes problématiques qu’ils couvrent : la santé reproductive et la fertilité ; la grossesse, la maternité et l’allaitement ; la santé génitale et les menstruations ; le bien-être général (nutrition, santé mentale, etc.) et la sexualité.

Aux origines du mot femtech

Femtech, c’est la contraction des deux termes anglais « female » et « technologies », soit « femme » et « technologie ». Le mot a été inventé et proposé par Ida Tin, cofondatrice et présidente-directrice générale de la société berlinoise BioWink GmbH, à l’origine de l’application de suivi du cycle menstruel Clue.

L’entrepreneure danoise a lancé Clue en 2013. Elle constate en 2016, seulement trois années plus tard, une explosion du nombre d’applications mobiles similaires. S’y ajoutent quantité d’autres dispositifs modernes qui participent également à une meilleure compréhension de la santé féminine (patches connectés mesurant la température corporelle pour la surveillance du cycle d’ovulation, bijoux intelligents, etc.). Elle observe une confusion dans les différents termes utilisés pour parler de ces produits novateurs1. Elle questionne l’absence d’une description collective qui fédèrerait la myriade d’acteurs et de solutions de ce marché émergent. Alors, elle suggère « femtech ».

Dans une vidéo publiée sur le compte YouTube de Clue intitulée The rise of Femtech2, « L’ascension de la Femtech », Ida Tin explique ce choix par analogie avec l’expression consacrée fintech, acronyme de « financial technology », la technologie au service de la finance.  

Mais en pratique, les femtech, c'est quoi ?

Concrètement, il s’agit par exemple de :

  • Clue, Glow ou Natural Cycles qui proposent des applications mobiles de suivi du cycle menstruel et de la fertilité, avec saisie de données personnelles dans un journal quotidien (température corporelle, douleurs, consistance de la glaire cervicale, humeur, etc.) et visualisation d’un calendrier, pour mieux connaître son corps et ses manifestations physiologiques, obtenir des informations personnalisées, s’en servir comme méthode contraceptive ou optimiser ses chances de concevoir un enfant ;

  • Ava Women et son bracelet de suivi d’ovulation connecté Ava qui promet l’identification des cinq jours les plus propices au cours de son cycle pour essayer d’avoir un bébé ;

  • Le premier test de grossesse à domicile biodégradable, qui peut être jeté directement dans les toilettes après utilisation, de la compagnie Lia Diagnostics ;

  • Bloomlife et son patch ventral connecté qui mesure l’activité électrique du muscle utérin pour suivre, en tant que future maman, ses contractions à la maison ;

  • L’Elvie Pump, tire-lait silencieux et portable, et l’Elvie Trainer, rééducateur périnéal connecté ;

  • Le service d’abonnement à des produits menstruels (serviettes et tampons hygiéniques, protège-slips, patches chauffants contre les crampes liées au syndrome prémenstruel, etc.) et de santé sexuelle (préservatifs, lubrifiant, vibromasseur) de Lola ;

  • Baûbo et son baume de soin spécial vulve, à la composition 100 % naturelle et 100 % bio, qui permet d’hydrater et d’apaiser cette zone sensible après un rapport sexuel, en post-partum, en cas de sécheresse vaginale ou d’irritation passagère.

    Des start-ups et firmes engagées, pour que les choses changent

    Au-delà de l’aspect technologique qui les rassemble, on note pour l’ensemble des entreprises femtech, jeunes pousses ou compagnies expérimentées, le partage d’une vision commune : contribuer à faire évoluer les mœurs pour une société plus égalitaire et inclusive. Majoritairement créées et menées par des femmes pour les femmes, elles sont souvent portées par un engagement fort s’inscrivant dans une mouvance progressiste et féministe.

    C'est le cas de Cécile Réal, fondatrice de la société Endodiag, spécialisée dans le développement de produits et services visant à améliorer le diagnostic de l’endométriose. Peu connue du grand public, cette maladie gynécologique est pourtant courante : en France, elle concerne 1,5 à 2,5 millions de femmes, soit 10 % des femmes en âge de procréer3. Elle est caractérisée par la présence anormale de tissu utérin en dehors de la cavité utérine. Elle provoque des douleurs pelviennes plus ou moins intenses et engendre souvent des troubles de la fertilité. On estime qu’en moyenne une femme atteinte d’endométriose doit attendre sept ans avant de recevoir un diagnostic médical correct4. Cette errance médicale implique pour les femmes de nombreuses complications dans leur vie personnelle et professionnelle, et dans leur désir de maternité. L’ambition de Cécile Réal, ingénieure biomédicale de formation : mettre au point de nouveaux dispositifs médicaux pour faciliter et accélérer le diagnostic de l’endométriose et ainsi améliorer la prise en charge médicale des patientes. Mais aussi lever le tabou entourant cette maladie : « Avant, il s'agissait d'une pathologie méconnue et presque honteuse ; aujourd'hui, tout un mouvement s'est déclenché pour que les choses changent. »5

    Pourquoi un essor de la femtech si tardif ?

    La femtech est un marché en constante expansion. Selon le cabinet Frost & Sullivan, sa valeur mondiale était de 487 millions de dollars en 2020, est estimée à 522 millions de dollars pour 20216 et devrait culminer à 1,1 milliard de dollars en 20247. Il a pour cible commerciale la moitié de la population mondiale, soit environ quatre milliards de consommatrices potentielles. Pourtant, avec moins de dix ans d’existence, il est récent. Comment se fait-il que le milieu de la santé féminine ait dû attendre aussi longtemps pour susciter l’intérêt des investisseurs de la tech ?

    Des écosystèmes numérique et financier majoritairement masculins

    Dans son livre Les oubliées du numérique paru en 2019, Isabelle Collet – informaticienne, enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation à l’Université de Genève, spécialiste des questions de genre dans le monde du digital – explore cette sous-représentation des femmes dans ce domaine. Elle y fait le constat que « le digital est un univers conçu, programmé et installé par des hommes »8.

    En 2020 en France, la part féminine dans les métiers du numérique tourne autour de 30 % (23 % selon Femmes@Numérique9, 33 % selon la revue GEF10, 36 % selon le baromètre EY et France Digitale11). Mais lorsqu’on exclut les fonctions dites « de support », le marketing ou les ressources humaines10, c’est seulement la moitié de cet effectif qui exerce les fonctions réellement techniques (cybersécurité, intelligence artificielle, etc.). Seulement 10 % des fondateurs et dirigeants des entreprises du secteur sont des femmes11.

    Bien que la mixité dans la création et le financement de ces start-ups progresse, les investissements, décidés en majorité par des hommes, continuent de se faire principalement au profit de l’entrepreneuriat masculin : les équipes fondatrices constituées exclusivement d’hommes représentent 85 % des start-ups financées et plus de 90 % des fonds levés12.

    Cette suprématie masculine ne favorise pas la considération des problèmes particuliers auxquels la population féminine est confrontée, ni la recherche et le développement de solutions pratiques. La véritable proposition de valeur des produits de la femtech n’est pas toujours perçue par ce public13 qui ne peut en faire l’expérience. À l’époque où elle recherchait des financements et faisait le pitch de son projet devant des assemblées uniquement masculines, Ida Tin s’est vu rétorquer plusieurs fois : « Je n’investis que dans des produits que je peux utiliser moi-même. »14

    Un ancrage profond et ancien des tabous liés à l’intimité et au corps féminins

    Pour en toucher du doigt l’importance, il suffit de regarder le nombre de périphrases employées pour parler des règles, et ce tout pays confondu : « avoir ses choses » pour les Italiennes, « l’armée rouge » côté russe, « les communistes sont dans la place » dans les pays nordiques, « la semaine des fraises » en Allemagne, ou encore « les Anglais débarquent » sur le territoire français.

    Dans la même veine (!), Nana a créé le buzz en 2017 dans une publicité pour ses serviettes périodiques, en y remplaçant le liquide historiquement bleu vif utilisé pour imiter le flux menstruel par un fluide couleur rouge sang.

    Loin d’être anecdotiques, ces exemples témoignent de l’imprégnation forte et persistante de ces tabous. De plus en plus abordés dans la sphère publique, leur déconstruction se fait petit à petit. C’est bien dans cet élan qu’Ida Tin inscrit son action : « Si les femmes veulent que le monde s’ajuste à leurs besoins, elles ne doivent pas attendre mais se créer des espaces, vivre leur vie comme elles l’entendent, se libérer. Pour moi, cela passe par le fait de briser des tabous qui entourent leur corps – les règles par exemple. »15
     


    Vous l’aurez compris, la femtech cherche à réinventer le domaine de la santé au bénéfice des femmes. Comme tout secteur vecteur de progrès technique et à gros enjeux, financiers et sociétaux, elle appelle des questionnements, notamment sur la e-santé et la gestion des données personnelles. Elle constitue ainsi une belle porte d’entrée pour que chacun.e s’interroge sur la manière dont technologie et santé doivent se conjuguer dans le futur.

     

    Pour prolonger la lecture : 

     

    Écrit par cd

     

    Sources :

    1. Tin, I. (2016, 15 septembre). The rise of a new category: Femtech. LinkedIn.
    2. Clue. (2016, 29 septembre). Ida Tin: The Rise of Femtech [Vidéo]. YouTube.
    3. Ministère des Solidarités et de la Santé. (2019, 21 août). Endométriose
    4. Association EndoFrance. (2021, 6 mars). EndoFrance : Association française de lutte contre l’endométriose.
    5. INPI. (2021, 5 janvier). Endodiag : la biotechnologie contre l’endométriose.
    6. Fernandez, M. (2021, 8 mars). 5 Strategic Insights Set to Power the Femtech Market. Frost & Sullivan.
    7. Fernandez, M. (2020, 3 mars). Frost & Sullivan Defines Top Femtech Global Opportunities by 2024. Frost & Sullivan.
    8. Bounemoura, H. (2019, 21 octobre). « Les oubliées du numérique » : Le digital est « un univers conçu, programmé et installé par des hommes », explique Isabelle Collet20minutes.
    9. Femmes@Numérique. (2020, 15 décembre). Quelle place pour les femmes dans le numérique en 2020 ?
    10. Szerdahelyi, L. (2020, 1 septembre). Entretien avec Isabelle Collet à propos de son ouvrage Les oubliées du numérique. Revue GEF (4), 128-132.
    11. Sebag, F. (2020, 15 septembre). Performance économique et sociale des start-ups du numérique en France. EY.
    12. Boston Consulting Group. (2021, février). Une progression de la mixité dans la création et le financement de startups mais l’héritage de l’écosystème pèse encore.
    13. Das, R. (2019, 24 septembre). Is Technology Pink? Investments in Femtech to Cross the $1.3 Billion Mark in 2020. Forbes.
    14. Gellman, L. (2017, 19 mars). Ida Tin’s Battle to Build Clue, a Period-Tracking App. The New Yorker.
    15. Signoret, P. (2018, 18 juillet). Avec Clue, l’application d’Ida Tin, les menstruations sont sous contrôle. Le Monde.